lundi 14 novembre 2011

Vendre notre or: et alors?

Une rumeur court: l'Europe serait vendeuse de ses stocks d'or! L'Allemagne a en effet envisagé de mettre ses réserves d'or en garantie pour le FESF. Vendre notre précieux métal jaune, voilà qui soulève une vague d'inquiétude: la preuve, la question a été posée par deux fois en quelques jours lors des questions SMS de «C dans l'Air» sur France 5. La première fois, c'est Dominique Reynié qui y a été soumis et qui a séché. On ne peut lui en vouloir, il est politologue, pas économiste. La seconde, lundi, c'était Nicolas Beytout (55'58" dans la vidéo). A priori, il a le CV qui va bien pour répondre: journaliste économique, ancien directeur de la rédaction des Echos et du Figaro. Sa réponse est intéressante: «C'est un des éléments constitutifs de la force et de la crédibilité d'une monnaie (...) Si une monnaie c'était juste imprimer du papier et le distribuer, honnêtement, ce serait assez facile (...) Si on vend le stock d'or je ne donne pas cher [de l'euro]». La monnaie gagée sur l'or, c'est encore une croyance bien ancrée. Seulement, plus aucune monnaie n'est reliée à l'or depuis les accords de la Jamaïque en 1976. Beytout avait 20 ans, il avait d'autre chats à fouetter, il a dû rater l'info, ce qui explique les hésitations dans sa réponse. Donc oui, la monnaie c'est (presqu') aussi simple qu'imprimer du papier, c'est bien ce qui est troublant. En fait, elle est gagée sur autre chose: notre croyance collective. Et ça, ça vaut de l'or.

Un peu d'histoire

Depuis que les monnaies ont été émises, elles ont eu tendance à être frappées dans un métal précieux: l'or (600 ans avec JC) comme valeur suprême mais aussi l'argent (4.000 ans avant JC) ou le cuivre. Les premiers billets sont apparus au XIème siècle en Chine et se sont diffusés plus largement à partir du XVIIème siècle. Pourquoi l'or? Après tout, ça pourrait être autre chose comme ... des cigarettes dans l'Allemagne post-Hitlérienne. Celles-ci, importées illégalement des US, changaient de main en moyenne 100 fois avant d'être fumées. Etonnant, non? Mais après tout, l'or aussi a des usages industriels et sert surtout dans l'industrie du luxe. Alors pourquoi le métal jaune? Tout simplement car il regroupe un ensemble de propriétés assez pratiques: il est rare, il n'était (c'est moins vrai) que peu utilisé pour des usages industriels, il est difficile à copier (à l'inverse des billets de banque, surtout à leur origine) et il s'altère très peu avec le temps. Enfin, son extraction n'est pas simple ce qui rend ce métal assez facilement contrôlable par les souverains.

Ceci dit, cette élection de l'or est totalement arbitraire. Quand l'Espagne des Consquistadors met la main sur les tas d'or des Amériques, cela crée une richesse qui va permettre (temporairement) aux espagnols d'acheter des biens réels à Anvers ou Venise. Est-ce bien logique? Le fait que l'Australie et l'Afrique du Sud soient les premiers producteurs d'or au monde leur donnerait-il droit à une richesse particulière (au-delà de la simple vente du métal comme on peut vendre du pétrole ou du platine)? Toujours est-il que l'or devient la référence. La diffusion massive de papier-monnaie au XIXème siècle va bouleverser la donne. Les pays émettent des billets gagés sur l'or ou sur l'argent voire les deux (ce qu'on appelle le bimétallisme). Parfois, ils ne sont gagés sur rien comme le dollar entre 1862 et 1878, à cause de la guerre de sécession.

Dans les années 1870, l'instabilité monétaire fait rage. Les grands pays vont en conséquence tous adopter le système de l'étalon-or entre 1870 et 1900 (Allemagne en 1871, France en 1876 et Etats-Unis en 1900). Les billets ainsi frappés sont convertibles en or selon une parité définie. En cas de dévaluation, la quantité d'or attachée à la monnaie décroît. Mais la Première Guerre Mondiale nécessite de battre monnaie à tour de bras et les pays abandonnent l'étalon-or. Ce qui provoque des épisodes d'hyperinflation en Allemagne (1923) et d'inflation forte en France dans les années 20. Retour à l'étalon-or pour l'Angleterre en 1925 et en France avec Poincaré en 1928. Et là, crise de 1929, on repart dans l'autre sens: l'Angleterre sort de l'étalon-or en 1931, les USA en 1933 et la France en 1936.

Sur ces entrefaits survient la Seconde Guerre Mondiale. A Bretton Woods, en 1944, les grands pays négocient le nouvel ordre monétaire d'après-guerre: les Etats-Unis, nouvelle superpuissance, seront les seuls à détenir une devise convertible en or, ce qui fait du dollar la devise reine. Les autres monnaies seront rattachées au dollar par un taux de change fixe mais ajustable par les autorités monétaires du pays. Ainsi, on pouvait dévaluer la monnaie par décision gouvernementale (ou de la banque cenrtrale): cela n'est plus possible en Europe aujourd'hui. Si l'on voulait dévaluer l'euro, on ne pourrait plus le faire directement.

En 1971, les USA ne peuvent plus soutenir la convertibilité dollar-or qui est suspendue. Cette décision unilatérale est entérinée par les accords de la Jamaïque en 1976. Exit l'or. Et c'est le grand saut vers l'inconnu: le système de change flottant. Plus personne ne décide de la valeur de la monnaie et elle n'est plus gagée sur rien. En pratique, ce système se met en place progressivement (d'ailleurs la monnaie chinoise n'est toujours pas réellement flottante par rapport au dollar ...): par exemple, le Serpent Monétaire Européen avait arrimé les monnaies du continent entre elles pour faire face aux spéculations contre elles (notamment la célèbre attaque de Soros sur la livre).

Le fétichisme de la liquidité

Après ce long détour historique, la conclusion est simple: l'or est hors-jeu. Les monnaies sont valorisés par les marchés et en fonction des échanges qui se font chaque jour (3.000 milliards de dollars d'échange quotidiens sur les monnaies). Les gouvernements et banques centrales n'ont plus qu'une action indirecte (via les taux d'intérêts notamment). Ca fait peur non? On comprend que l'on préfère croire que tout cela est rattaché à quelque chose de concret comme Nicolas Beytout (à droite sur la photo). Mais si ce brave homme pense ça, c'est aussi que son école de pensée, l'économie classique et néo-classique, le met sur ce chemin. Que professent ces théoriciens (qui influent grandement sur la pensée économique)? L'homme est un être de besoin et il est rationnel. Qu'est-ce à dire? Que si j'achète une voiture, c'est que j'en ai besoin: la mienne est vraiment HS et je ne peux pas prendre les transports en commun. Non pas que je n'ai pas envie de les prendre mais une étude rationnelle me montre qu'il est plus avantageux économiquement pour moi de ne pas les prendre. Enfin, je n'achète pas une voiture donnée parce que j'ai envie de frimer avec une belle marque sur la calandre mais seulement parce que ses caractéristiques techniques sont celles qui me conviennent et que son rapport qualité/prix est le meilleur.

Evidemment, nous savons tous que ça ne se passe pas comme ça. Mais ces économistes ont basé leurs modèles là-dessus. Non pas mus par de mauvais sentiments, mais ils pensaient que le monde devait être comme cela même s'il ne l'était pas réellement. Et puis, c'est nettement plus simple à mettre en équation comme ça. La réalité, c'est que nous sommes des êtres de pulsion et de désir. Sinon il n'y aurait pas de marques ni de pub. Un peu rationnels aussi certes. Quel rapport avec l'or ? Et bien, cette école économique a eu bien du mal à théoriser la monnaie. Dans ce monde froid de besoin et de rationnalité, quelle place pour celle-ci? Un simple intermédiaire neutre. Une alternative bien pratique au troc. Là encore, c'est bien plus simple pour faire des théories et des équations. Mais ce n'est pas la réalité.

La monnaie, ça sert aussi à accumuler: c'est l'épargne. En fait, ce que nous recherchons, c'est la liquidité. Pour des raisons rationnelles (assurer nos arrières, prévoir les mauvais coups du futur, transmettre à nos enfants) et moins rationelles (acquérir de la puissance, un statut social, assouvir nos désirs futurs), nous souhaitons faire des réserves. Mais avec toujours une préférence pour la liquidité: avoir 300.000€ en cash ou un appartement de même valeur, ce n'est pas pareil. Dans un cas, je peux en disposer tout de suite, dans l'autre, je devrai attendre de pouvoir vendre et sans être sur de pouvoir le faire au prix escompté. Ce besoin d'accumulation et de liquidité a été décrit par Keynes comme un «fétichisme de la liquidité» et par Freud comme une régression infantile d'ordre érotico-anal.

Qu'importe les termes, la seule importance c'est que cette liquidité, je puisse en disposer, à sa pleine valeur, dans 3 mois, 2 ans ou 30 ans pour acheter des biens réels. Et la liquidité ultime, c'est la monnaie. Dès lors, peu m'importe qu'elle soit faite en or, en billets de banque, en écriture électronique ou en bambou. Mon seul critère, c'est quelle reste acceptée par tous les autres acteurs dans le futur. C'est le fondement même de la monnaie: tant que tout le monde croit qu'elle restera valable dans le temps, elle reste solide. Elle est le fruit d'une croyance collective, une convention de fait. Si tout le monde y croit, elle tient. Pas besoin d'or pour ça. Si plus personne n'y croit, comme en Allemagne en 1923, elle s'effondre. Peu importe qu'elle soit gagée sur de l'or ou quelque autre métal précieux. L'or n'était là que pour matérialiser la croyance collective, rien de plus. Un pur artefact pour donner un peu de réalité à un rêve collectif. Ne le disons pas trop fort: on risque de réveiller Nicolas Beytout de son doux rêve.

Photos cc BY-ND pirate_renee sur flickr et © Reuters

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